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Le Monde — À Nice, Ora-ïto voit le tram en rouge et noir

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Pour la future ligne 2, qui reliera l’aéroport au port en moins d’une demi-heure en 2018, le designer proposait plusieurs habillages. Les Niçois ont tranché : ce sera ocre rouge et bandes noires. Retour en trois questions sur la genèse de ce projet.

Le plasticien Daniel Buren avait dessiné le tramway de Tours, en 2013. Le designer français Ora-ïto, 38 ans, signe la ligne 2 du tramway de Nice, dans des tons ocre rouge. « Ocre comme le pigment des façades de la somptueuse place Massena ou de la villa Matisse, joyaux emblématiques du XVIIe siècle », précise le créateur natif de Marseille mais qui a grandi dans la ville azuréenne. Le futur tramway sera laqué pour refléter la ville sur son parcours et doté de larges baies vitrées. Il reliera en 2018 l’aéroport au port en 23 minutes, une aubaine pour les touristes du monde entier, mais pas seulement ! L’engin ne devrait pas défigurer la cité : il filera en effet à travers la ville sans câble ni caténaire. Le fabricant français Alstom promet « une première mondiale » avec sa recharge statique du tramway par le sol, à chaque arrêt en station. Pour M, Ora-Ïto revient sur la genèse de ce projet.

Vous aviez proposé trois habillages du tramway aux Niçois qui ont voté, fin janvier, pour l’ocre rouge. « Jamais dans l’histoire de la ville, les Niçois ne s’étaient prononcés dans de telles proportions », s’est réjoui le maire LR, Christian Estrosi. Vous vous y attendiez ?

J’avais proposé une version or mat mêlé à un bleu Klein, en hommage à cet artiste natif de Nice, puis une autre azur, entre teinte céleste et marine, symbolisant le parcours du tramway qui transportera le voyageur aérien vers la mer Méditerranée. Et enfin, l’ocre rouge traversé de bandes noires. Les habitants de la métropole Nice Côte d’Azur ont eu deux mois pour trancher. Je me suis rendu compte, récemment, que le bleu était la couleur de l’Olympique de Marseille et n’avait donc aucune chance de passer ! Le rouge et le noir rappellent le maillot de l’OGC (Olympique Gymnaste Club) de Nice Côte d’Azur. Ces couleurs ont été plébiscitées, avec 44 % des votes. En tant que designer, j’avais mésestimé le poids du football dans la vie de la région ! Finalement, je suis ravi, car la couleur retenue est en osmose avec la ville de Nice et sa longue histoire, qui remonte au IVe siècle avant J.C.

Où trouve-t-on votre « patte » ?

J’ai signé le « bouchon » – l’avant du tramway –, le capotage et l’intérieur. Ce qui est fantastique à mes yeux, c’est que j’ai bénéficié des nouvelles technologies mises en œuvre par le Français Alstom. Avec 40 % de vitrage en plus par rapport aux précédents modèles, les voyageurs auront un panorama inégalé sur Nice. Sachant que le tramway sera alimenté par le sol, j’ai pu dessiner un engin futuriste, esthétiquement épuré car relié à rien, ni câble ni caténaire. A l’intérieur, j’avais proposé des fauteuils en osier, façon Fiat 500 décapotable, époque Dolce Vita. Des contraintes de sécurité m’ont interdit de réaliser ce rêve. J’ai donc travaillé la sobriété des lignes extérieures comme intérieures, puisqu’un tramway doit pouvoir traverser au moins trois décennies sans prendre une ride.

Vous êtes-vous inspiré du tramway de Tours dessiné par Daniel Buren et Roger Tallon, considéré comme le père du design industriel français (1929-2011) ?

C’est pour moi le plus beau tramway du monde. Non seulement un engin design, mais aussi un projet qui tisse une vraie relation entre l’objet de mobilité et la ville, en l’irriguant de l’intérieur, comme jamais auparavant. J’adore Daniel Buren, il est pour moi, l’un des plus grands artistes contemporains. Je l’ai invité dans mon lieu d’exposition, le MaMo, sur le toit de la Cité Radieuse, en 2014. Depuis, nous avons un projet en commun : une architecture à quatre mains sur le quai de Grenelle, à Paris. Quant à moi, pour Nice, j’ai recommandé que la ligne 3 du tramway soit ocre jaune, rappelant un autre quartier : la place Garibaldi, presque terre de Sienne. Je rêve que mes deux tramways, ligne 2 et 3, se croisent, concentrant, quelques instants, toutes les couleurs locales.

Par Véronique Lorelle