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FORBES — Ora ïto, le petit prince du design

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Ora ïto, le designer qui voit
l’Homme dans les objets

Il y a vingt ans, il piratait les plus grandes marques du monde. Aujourd’hui, il travaille avec elles. C’est l’histoire d’Ora ïto, acteur unique du design international. À travers un concept néologiste de « simplexité », le designer tricolore se fait une place de choix dans les mémoires, grâce à des créations toujours plus incroyables. Rencontre avec un artiste philanthrope qui ne recule devant rien.

À 43 ans, Ora ïto est un des designers les plus plébiscités au monde. C’est au gré d’un parcours atypique qu’il acquiert ce statut. Alors étudiant à l’ESDI-Créapole, il crée des objets virtuels en image de synthèse. « J’imaginais être le directeur artistique de grandes marques comme Apple ou Vuitton, sans leur demander leur autorisation, je faisais des objets qui reprenaient leur ADN », explique-t-il. Des marques qui font partie de la mémoire collective et qui sont des symboles de notre génération. Très vite, le jeune designer se rend compte du pouvoir de ces marques. En 1998, il met ses objets 3D sur internet, et c’est l’effervescence. Ses créations deviennent virales et font le tour du monde. À 21 ans, Ora ïto vient de faire le premier détournement de marque de l’histoire, à l’aide de stations de travail sur le logiciel Alias de Silicon Graphics.

Révolutionner le monde du design

L’histoire démarre pour le designer, qui arbore dès ses débuts une vision très pluridisciplinaire de la création. « Un vaisseau parcourant les différents espaces artistiques, c’est cela qui caractérise vraiment ce que je fais aujourd’hui. » Son fer de lance : les collaborations. Qui durent, pour certaines, depuis dix ou quinze ans, avec des partenaires industriels qui amènent la caution du savoir-faire à la dimension futuriste présentée par le designer français. Derrière la philosophie de la « simplexité » se cache une idée de la réduction de la matière, intégrant l’aspect écologique dans son processus de création. Pour Ora ïto, l’écologie ne consiste pas seulement en l’adoption de matériaux green, c’est une manière de créer. Un objet de bonne manufacture qui n’a pas un design lié à une tendance possède cette vertu de l’intemporel. Il dure et se veut donc, par définition, écologique. En 2002, alors qu’il vient de se faire connaître par le monde du design, Ora ïto conclut son premier contrat avec Heineken. Le brasseur néerlandais voulait donner une dimension prestige à sa nouvelle bouteille pour conquérir la gente féminine. Une collaboration fructueuse, qui fait émerger l’idée d’une bouteille en aluminium. Le design imaginé par le jeune Français connaît un franc succès et le concept se déploie dans 22 pays. Un nouveau venu débarque donc sur la planète design. Il n’essaie pas de marquer les esprits, mais d’être toujours là où on ne l’attend pas. « Je n’ai pas voulu rentrer dans une case parce que ça supprime cette faculté de pouvoir faire tout ce que l’on a envie défaire », explique Ora ïto. C’est pourquoi le langage volumique qu’il développe depuis ses débuts est capable de rentrer dans n’importe quelle typologie, qu’il s’agisse d’un train ou bien d’un bateau. Le créateur conçoit ses objets en se posant toujours les mêmes bonnes questions.

Un grand pas vers la solidarité

Si aujourd’hui, il est difficile d’exister en tant que créateur, parce que les réseaux sociaux sont un véritable tube en permanence alimenté en informations, il y a vingt ans, il était plus simple pour un designer de se faire reconnaître. La marque Ora ïto se définit par sa transversalité. « N’ayant ni l’histoire, ni le savoir-faire, à savoir les éléments qui caractérisent une marque aujourd’hui, je devais m’associer avec des marques qui possèdent ces dispositions. » Le mobilier avec la maison italienne Cassina, la lumière avec Artemide, l’art de la table avec Christofle, les parfums avec Guerlain, les transports avec Alstom, le mobiliser urbain avec JC Decaux, les hôtels avec Accor… Le designer français collabore avec les meilleurs dans leur domaine, ceux qui symbolisent l’objet qu’ils créent. Ce faisant, il rentre dans l’histoire de ces marques. Certaines de ses créations se retrouvent dans la collection permanente du Centre Pompidou et du musée des Arts décoratifs. La collaboration avec Alstom perdure. Après avoir remporté l’appel d’offre sur le tramway de Nice, c’est maintenant à Marseille que le tandem récidive pour le nouveau métro de la ville. « Pour moi, la contrainte est une source d’inspiration. Il n’y a rien de pire qu’un projet avec zéro obstacle, car sans eux, on ferait toujours la même chose. » Le métro de Marseille, un grand projet dont la livraison est prévue en 2024. Le designer vit dans la projection, et trouve sa satisfaction dans les projets à long terme. Il y a dix ans, il fondait son centre d’art, le MaMo, à Marseille, sa ville natale, dans l’illustre Cité radieuse, classée aujourd’hui patrimoine mondial de l’Unesco. Achetant une ancienne partie commune qui comportait le toit, le gymnase et le solarium, Ora ïto restaure le lieu avec la copropriété pour faire briller son architecture hors du commun, avec l’aide de la fondation Le Corbusier. Le chantier dure trois ans. Construit en étroite collaboration avec les Monuments historiques, le centre d’art devient le MaMo, ou Marseille Modulor. Les plus grands artistes de l’art contemporain s’y bousculent. Il ouvre le bal avec Xavier Veilhan pour Architectones, Daniel Buren en 2014 avec Défini, fini, infini. Dan Graham en 2015 avec Observatory Playground, Felice Varini en 2016, Jean-Pierre Raynaud en 2017, Olivier Mosset en 2018, Alex Israel en 2019 et Invader en 2020. « Je suis un enfant du Sud. Je voulais vraiment apporter quelque chose à ma ville, j’ai donc ouvert ce lieu qui est gratuit. » Cet été, c’est toute la cité phocéenne qui était dans son viseur, puisque le centre d’art a déployé l’exposition Invader was here dans 80 endroits de la ville. Au-delà d’un centre d’art, c’est un lieu qui s’ouvre et se propage dans la ville. « Marseille, c’est une sorte de laboratoire pour moi. C’est une ville que j’affectionne particulièrement et qui a un grand potentiel sur lequel il m’intéresse de travailler. » Peu nombreux sont les designers qui possèdent une telle transversalité, et sont devenus une marque incarnée avec vingt ans de track record dans tous les domaines, à l’instar de Jonathan Ive, Philippe Starck ou encore Marc Newson. « Je voulais à tout prix garder cette dimension pluridisciplinaire. Dès que l’on rentre dans un métier et que l’on se spécialise, on finit par tourner en rond. »

L’humain au coeur du métier

L’entreprise Ora ïto, c’est une dizaine de salariés fixes et de nouvelles équipes pour chaque projet. Une itération continuelle pour le designer, pour qui le projet ne peut fonctionner que s’il n’y a aucun maillon faible. La réussite n’est pour autant pas garantie. Fin 2019, il monte Marxito, avec Thierry Marx, un fast-food de tradition francojaponaise. Un projet situé sur les Champs-Elysées, prometteur, mais qui subit de plein fouet la crise des gilets jaunes, les grèves puis le Covid ! Mais pour Ora ïto, si l’issue est importante, ce sont les rencontres qui importent le plus. « J’aime l’idée du maître et de l’élève, et de la transmission du savoir. Travailler avec de grands maîtres permet de débloquer des cases et de comprendre plus vite. J’ai toujours eu ce besoin d’apprendre et j’ai eu la chance dans ma vie d’avoir appris en travaillant avec les meilleurs. Mais je sentais qu’il me manquait quelque chose, et c’était l’art. » Si le créateur opère dans un cadre industriel, il existe des ponts entre l’art et le design. C’est grâce au MaMo qu’il commence à explorer cette nouvelle dimension. Il y invite notamment l’artiste Daniel Buren, son idole de jeunesse, à exposer ses oeuvres. Ora ïto laisse carte blanche aux artistes invités, sur une durée de trois mois. Son exposition de l’été, les « masters », exploite l’intérieur et l’extérieur du centre d’art. L’hiver, place à la jeune création, où il produit lui-même et expose collectivement avec plusieurs artistes. « C’est passionnant. Je rencontre ces artistes et je vis avec eux pendant quelques mois. On apprend les uns des autres et c’est très enrichissant. »

Le projet Marsa, « la villa Médicis de l’écologie» !

Si le MaMo permet au designer de mêler art et design, il ne suffit pas à son bonheur. Ora ïto a acheté une partie de file du Frioul. Dans l’archipel emblématique de Marseille, il compte bien réaliser le projet de sa vie. « Quand j’ai acquis cette presqu’île située sur l’île du Frioul, je ne savais même pas pourquoi je l’achetais. Mais quand je suis dans un lieu, j’ai besoin de sentir sa force, sa puissance. Cela me permet de toujours garder l’excitation sur un endroit. C’est ce que j’ai ressenti sur cette île. » Ora ïto travaille aujourd’hui sur un projet de restauration du fort de Brigantin, bâtisse imposante du Frioul. Pas pour en faire un refuge privé, mais un lieu de travail et d’échange dédié à la protection de la mer et de l’environnement. Un lieu ouvert au public et aux chercheurs. « En tant que designer, j’ai une vraie responsabilité parce que je fais partie des acteurs de la pollution dans le monde. Je veux donc mettre mes idées au service de la nature, et faire de cette île la villa Médicis de l’écologie. » C’est Marsa. Le designer est suivi par la mairie dans ce projet solidaire, qui aura pour but de réunir des chercheurs venant des quatre coins du monde, de faire découvrir l’architecture sous-marine, ou encore d’agir sur la récupération des plastiques. À l’image du MaMo, Ora ïto veut faire venir des professionnels de tous les horizons et créer des ateliers pour résoudre des problématiques environnementales. « C’est en mettant au point des profils différents que ion crée des liaisons et des projets solides. Je veux faire de cet endroit un hub, qui regroupera entités et fondations pour mieux travailler ensemble. » Après avoir lancé un hub design, un hub d’art contemporain, il reste donc pour Ora ïto le plus difficile, le hub écologique.

La quête de sens

« L’avenir est entre nos mains. C’est à nous de changer demain. » Après moult projets et expériences, Ora ïto n’a plus la même conception du métier qu’à ses débuts, lorsqu’il avait envie de tout faire, et où il y avait tout à faire. « Nous vivons à l’époque qui a connu le plus d’évolution en si peu de temps. Aujourd’hui, moins j’en fais, mieux je me porte. Pas par paresse, mais par déontologie. Nous n’avons plus le temps de ne faire des choses que pour l’argent. J’ai besoin de savoir que ce que je fais a des répercussions. De plus en plus, laisser sa trace va devenir obsolète. » Le curseur a bougé et, pour le designer tricolore, s’enrichir à outrance est une perte de temps autocentrée. Réorienter ses rêves et, surtout, se demander si ce que l’on fait a du sens, voilà le nouveau schéma de vie qui remplace peu à peu celui de l’individualisme des années passées. « Le succès entrepreneurial aujourd’hui, ce n’est plus le chiffre d’affaires, mais ce que le business va générer. » Une nouvelle représentation qui, pour Ora ïto, touchera tous les secteurs, y compris le statutaire et traditionnel marché du luxe. « Le luxe, c’est l’histoire de quelqu’un qui a pris son outil, l’a modifié, de sorte qu’au fil des années, le savoir-faire se perfectionne et devienne un style à part entière. C’est pourquoi il est difficile de créer une marque de luxe aujourd’hui. Parce quelles regorgent d’un savoirfaire ancestral. » Selon le designer nommé chevalier des Arts et Lettres par Frédéric Mitterrand lorsqu’il était ministre de la Culture, une nouvelle notion va s’intégrer au luxe : l’écoresponsabilité. « Nous sommes en train de vivre un cataclysme mondial qui va remettre les pendules à l’heure. Le monde en a besoin. Il s’agit maintenant de trouver le bon positionnement, et je suis persuadé que c’est le bon moment pour lancer le projet Marsa. » Une prise de conscience solidaire pour le designer français, qui, en perpétuelle quête de sens, va s’engager en faveur de l’humain.

Par Dominique Busso avec Gaëlle Ménage